Coopération France-Syrie : Mettre en valeur le trésor des arts et de la culture

30 Mar

Ce devait être une des plus belles victoires de la diplomatie culturelle française. Un accord sans précédent grâce auquel la France allait ancrer sa présence dans « un pays aux richesses archéologiques inimaginables », comme le dit Henri Loyrette, le président du Louvre. Restructurer les musées syriens, inventorier les collections, former les personnels, avec l’assurance de pouvoir puiser dans ces merveilles pour organiser des expositions à Paris et, qui sait, construire le futur Musée national de Damas…

Mais, depuis la répression de la contestation qui s’éveillait en Syrie et un bilan de près de 150 morts, cet échange « sans précédent » inquiète les diplomates français.

L’aventure avait pourtant commencé comme un conte de fées. Avec, dans le rôle de la princesse, Asma Al-Assad. Quand, début 2008, les deux pays réchauffaient leurs relations diplomatiques, l’épouse du président syrien, francophone et férue de culture, a pris le premier rôle. Puisque le Louvre entretenait depuis cent cinquante ans des rapports étroits avec le Musée national de Damas, elle proposait d’aller plus loin. Lors de la visite officielle de son mari, à Paris, en juillet 2008, elle s’est émerveillée devant les collections syriennes du Louvre et leur mise en valeur.« Pourquoi ne nous aideriez-vous pas à réorganiser le Musée national ? », a demandé la première dame.

En septembre, c’est au tour de Nicolas Sarkozy de se rendre à Damas. De son côté, Henri Loyrette multiplie les voyages. Le patron du Louvre connaît le terrain : le grand Musée national, construit par les Français à partir de 1920, mais aussi les musées de province et les petits établissements sur les sites archéologiques. « Des trésors y sont conservés dans des conditions souvent terribles, il y a urgence à agir », assure-t-il. Proposition est faite aux Syriens de revoir l’ensemble de leur système, de les aider à inventorier et à valoriser leurs collections, concevoir des bâtiments, former des conservateurs…

Les Syriens acceptent, et c’est désormais entre deux Etats que s’élaborent les échanges. A Paris, l’Elysée accueille les réunions. A côté du Louvre et des ministères de la culture et des affaires étrangères, siègent à présent l’Institut national du patrimoine (INP), qui forme les conservateurs, l’ENA et l’Ecole du Louvre. Si bien qu’en février 2010, lors de la visite de François Fillon à Damas, les deux pays signent un accord global de coopération culturelle.

De tels accords, la France en a signé de nombreux. Mais, pour appliquer celui-ci, elle a créé un groupe d’intérêt public (GIP), structure ad hoc dotée d’un budget propre et dont le conseil d’administration s’est réuni pour la première fois le 23 mars, en pleine crise syrienne. Du jamais-vu en matière de coopération culturelle. Certes, on est loin de l’ampleur du projet du Louvre à Abou Dhabi et des 400 millions d’euros qui l’accompagnent. Mais là ou le chantier émirati rapportait de l’argent, l’aventure syrienne coûte 1,5 million d’euros par an pendant au moins trois ans. Les deux ministères rechignent d’ailleurs à puiser dans leurs ressources, Matignon le leur impose. Et, le 22 février 2011, le Journal officiel publie l’arrêté portant création du GIP.

« La France ne soutient pas le régime syrien, c’est un accord technique », se défend le Quai d’Orsay. A l’Elysée, on admet plus simplement que la France entretient des relations culturelles avec les pires régimes de la planète. Le Louvre vante ainsi, sur son site, ses collaborations avec l’Arabie saoudite, l’Iran, le Soudan, le Yémen, la Libye ou la Chine… La culture doit pouvoir échapper au politique, défendent les scientifiques. Elle représente le meilleur vecteur de démocratisation, ajoutent les politiques.

Argument qui permettra à l’INP d’accueillir, dès cette semaine, quatre premiers stagiaires syriens. Argument plus fragile quand il s’agit d’aller présenter publiquement le projet à Damas, tandis que la police tire sur les manifestants en province. Du 10 au 12 avril, une brochette d’officiels – dont le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand -, conduits par Henri Loyrette, étaient attendus pour un forum international à Damas.

Fallait-il maintenir la participation et risquer de rejouer le calamiteux épisode tunisien de Michèle Alliot-Marie aux premiers jours du printemps arabe ? L’annuler et faire ressurgir le fiasco de l’Année du Mexique ?

Les Français n’ont pas eu à choisir. Un courriel est arrivé samedi 26 mars, à 11 h 22, chez tous les participants : « La Syrie vient d’annoncer une série de réformes qui vont nécessiter la pleine attention du peuple syrien. A la lumière de cette priorité nationale, nous allons repousser le Forum 2011 sur le paysage culturel. »

Jacques Follorou et Nathaniel Herzberg

Article paru dans l’édition du journal Le Monde 30.03.11